Dans une société où les cultes du loisir et de la vie idéale sont de plus en plus prononcés, les activités de plein air ne sont pas en reste, bien au contraire. Exploits, expériences inédites et vies extraordinaires, le mythe de l’aventure est désormais omniprésent dans notre quotidien. Il est synonyme de liberté et d’accomplissement de soi à l’heure où les questions de quête de sens, de bonheur et de bonne conscience sont légion. Mais avant d’être un objet économique, partir à l’aventure c’est avant tout un rêve, et ce rêve est accessible à tous dès lors que l’on s’en donne les moyens.
Rêver c’est ressentir, c’est percevoir, c’est écouter ses 5 sens et se projeter. C’est donner à son intuition un peu plus de place, et écouter cette fameuse petite voix intérieure qui vous parle. La curiosité plutôt que l’envie, la soif d’apprendre plutôt que celle de posséder. C’est ce rêve qui va petit à petit venir transformer votre vie. Car si vous lui laissez un peu de place, vous constaterez que tout s’accorde à merveille. Alors ouvrir son esprit, le laisser vagabonder, ressentir chacune des expériences vécues viendra naturellement en générer de nouvelles.
Confinement oblige, nos tendances à fantasmer les grands espaces et la liberté en sont d’autant plus exacerbées. Mais pourquoi ce besoin d’air ? Pourquoi ces subites envies de partir à l’aventure sur le GR20, courir un marathon, ou aller grimper les pentes du Mont-Blanc alors que nous ne sommes dans les montagnes qu’une fois ou deux l’an ? Pourquoi vouloir impérativement s’évader ? Et pourquoi l’extrême tout de suite ? Sommes-nous prisonniers d’une routine ? Avons-nous peur de l’ennui ? Est-ce un simple caprice, ou quelque chose qui est bien plus profond ?
Je l’ai fait. Je suis parti, sans savoir pourquoi. Enfin si, pour faire comme les autres. Pour voir l’Islande dont tout le monde parle. Et surtout faire mieux que les autres, sans aucune expérience. Question d’ego. Partir à l’aventure à pied, du Nord au Sud, seul. Et fuir les touristes et les parcours à la carte. C’est après 4 jours de marche que j’ai réalisé que mes motivations n’avaient rien à voir avec moi, avec ce que je voulais vraiment (et accessoirement c’est là que j’ai compris que la photo c’était ce que je voulais faire).
Toutefois, il n’est pas nécessaire de se retrouver en plein désert de cendres pour y parvenir. La question est de se poser, et de poser ce masque que l’on se construit pour voir ce qu’il y a derrière. Comprendre ce qui nous convient réellement, et exister enfin pour soi et non plus fantasmer sa vie ou son voyage. Pour moi, c’était accepter tout simplement ce que je suis. C’était de me faire face, coupé du monde, et d’oublier le temps qui passe, cette urgence insidieusement installée dans mon esprit. Tout simplement marcher. Ne plus courir. Savourer chaque seconde où il ne se passe rien, car c’est là que, paradoxalement, il se passe le plus de choses.
Compartimenter son quotidien en faisant de « partir à l’aventure » (ou à la « micro-aventure ») une échappatoire, revient à organiser soi-même sa frustration et sa déception. Pourquoi ne pas équilibrer les deux en trouvant une cohérence dans ce qui nous anime et le quotidien dans lequel nous évoluons ? Intégrer, associer, imbriquer sans isoler et vivre pleinement ces expériences permettront vivre pleinement. Se (re)trouver est essentiel. Ce n’est pas fuir, mais faire preuve de courage à exister pour soi.
Fuir une réalité, s’évader, revient paradoxalement à accepter de finir par y revenir. Et par conséquent de renouveler inexorablement le processus et de ne jamais être satisfait. De toujours vouloir plus, et ne jamais apprécier ce que l’on a, ce pour quoi l’on s’est préparés. C’est l’effet El Dorado, de l’expérience tellement fantasmée que lorsque l’on y est, elle n’a plus de saveur. Le frisson tant attendu, les rêves ne sont pas au rendez-vous.
Le monde n’a jamais été plus interconnecté, plus accessible et plus médiatisé qu’aujourd’hui. L’instantanéité de la satisfaction des plaisirs et la société du divertissement sont des faits. Vous voulez gravir l’Everest ? Si vous en avez la capacité financière, le toit du monde est à vous. Idem pour fouler l’Antarctique ou faire du kayak de mer au Groenland.
Cependant, au fond de vous, qu’aurez-vous vécu ? Était-ce véritablement un rêve, au sens propre, ou l’illusion d’exister ? Quelle satisfaction à payer pour avoir ? A consommer de l’aventure comme on va au restaurant ? Car en négatif de cette notion de satisfaction, il y a la déception la déconvenue, l’anonymat. L’échec n’est pas admis, ni toléré, et l’anonymat effraye. Alors on pose un masque, on collectionne les voyages, on ne s’inspire pas des « grands », on plagie. On s’autoproclame aventurier, voyageur du monde, sportif accompli. On consomme à vitesse grand V et on cultive le mythe, sans saveur, sans émotion ni vérité.
S’inspirer des grands, des moins grands, de ses proches, et avoir de grands rêves, c’est beau et c’est important. Mais se réveiller et se mettre en mouvement c’est encore mieux. Pas question de se lancer dans une entreprise complexe, épuisante, contraignante ou autre. L’essentiel, c’est d’entrer en action. D’aimer. De se retrouver, et d’avancer, pas à pas. Ce qui fait le rêve, ce n’est pas le résultat mais l’action. Comprenez que tout est possible. Il ne suffit pas simplement d’y croire. Il faut s’en donner les moyens.
Chercher, se renseigner, s’entraîner, s’interroger, trébucher, tomber parfois, se relever, continuer : apprendre.
L’apprentissage sur soi, sur les autres, sur un environnement et la découverte d’un contexte, de fondamentaux, de possibilités, d’un nouveau monde en somme sont des choses à vivre. Découvrir à 6h du matin que le sac que l’on vient de refermer est trempé parce que la poche à eau vient de se vider sur ses affaires et qu’on est au milieu de la montagne, c’est ça l’aventure. Rythmer sa journée sur des fondamentaux dont on n’a pas idée de la valeur « à la maison » – manger, boire, faire ses besoins, se laver, dormir – devient l’aventure. Et là, rien d’extraordinaire, ni de prestigieux au point d’inonder les réseaux sociaux ou de briller en dîner mondain. Mais vous n’aurez jamais été aussi heureux et vivant que lorsque vous aurez trouvé une source pour vous hydrater ou déniché le seul relief d’un plateau venteux, un rocher de 30cm, pour rendre à dame nature ce qu’elle a bien voulu vous donner…
Apprendre à faire des nœuds, à choisir ses chaussures, à entretenir son matériel, à préparer une sortie, à connaître son corps, à lire une carte, la neige, à comprendre un dénivelé, à s’orienter, à respirer, à marcher, nager, sauter… demande du temps, de la pratique et de l’expérimentation. Et de manière très personnelle, chacun a son rythme, ses besoins, son fonctionnement.
Prenez le temps d’essayer, de découvrir, pas à pas, et de cultiver ce potentiel d’intention qui est en vous. Et vous verrez que partir à l’aventure n’existera plus que pour ceux qui ne l’ont jamais vécue, car cela fait désormais partie de votre quotidien. Etre de ce côté du miroir c’est encore mieux que tout : c’est vivre votre vie. Et elle vaut mieux qu’une vitrine virtuelle, ou qu’une file d’attente pour prendre une photo de chute d’eau.
En attendant, c’est dehors que cela se passe. Nous ne sommes pas faits pour vivre à l’intérieur ou derrière un écran. Alors posez votre livre, éteignez votre ordinateur et enfilez vos chaussures ! J’ai déjà les miennes et je vous attends sur le palier.
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